Un malheureux accident, ni plus ni moins ?


(Mise à jour le 6/12/2020)

On pourrait le croire à la lecture du quotidien local (SudOuest du 18 novembre 2020, p.18)


Bien des questions auxquelles il faudra répondre

L'action judiciaire s'est focalisée, comme souvent dans un premier temps, sur la faute individuelle. 
Sud Ouest s'est donc contenté de la relater sans recul, selon sa ligne éditoriale habituelle.

L'erreur humaine a été condamnée. Certes, elle a pu contribuer au déclenchement de l'accident, mais a t-on recherché d'autres causes ayant pu réduire le degré d'attention ou de vigilance de l'automobiliste (autre que l'alcool) ?
A-t-on évalué ce qui a pu gêner (voire empêcher) la covisibilité des usagers ? Et a-t-on tout simplement vérifié la conformité des aménagements aux exigences légales et réglementaires ?

Non. Et c'est maintenant qu'il va falloir chercher à comprendre comment la conception du système de circulation et la façon dont il fonctionne réellement ont rendu possible l’enchaînement de circonstances qui a conduit à l'accident. 

Le résultat de ces recherches sera bien sûr susceptible de réduire d'autant la responsabilité d'un automobiliste confronté à une situation peu lisible et inhabituelle. Bien au delà de la seule défense des usagers vulnérables ou de la mobilisation du bon sens, il nous faut en effet admettre que chacun a la responsabilité de prévenir les accidents et que toutes les composantes (homme-véhicule-route) fonctionnent ensemble.

Sans cela, point d'espoir d'améliorer la sécurité de l'espace public. Nul doute que la procédure civile à venir y contribuera... et établira de nouvelles responsabilités. C'est dans ce but et en raison de ses liens avec la victime que l'AVAP s'est constituée partie civile et vous propose une synthèse de ce qui est connu de l'accident et des questions qui se posent. 

Que sait-on de l'accident du 8 janvier 2020 ?

L'accident s'est produit sur le carrefour giratoire de la douane à Anglet entre une automobile et un vélo. Le cycliste est décédé des suites de ses blessures.


Ce carrefour est situé à l'intersection de la promenade de la Barre, de la rue du Moulin Barbot à l'ouest et de l'avenue Abbé Cestac à l'est. Il y a donc 4 branches dont les entrées et les sorties sont à une voie. Le rayon extérieur de l'anneau est de 22 m, celui de l'ilot central 15 m, ce qui laisse une chaussée de 7 m de large.

Le schéma annexé au Procès verbal de police reprend cette topographie et matérialise un arrêt de bus situé dans le giratoire au sud, ainsi qu'une piste cyclable bidirectionnelle sur la promenade de la barre. Elle contourne le giratoire par le nord et l'ouest.

Les trajectoires suivies par les acteurs de l'accident sont indiquées : L'automobile A, suivie par le témoin T, approche par la branche sud de la promenade de la barre en provenance des cinq cantons.

Le vélo B vient de la rue du moulin barbot.


L'automobiliste laisse passer un véhicule qui tourne sur l'anneau et s'insère à son tour, à vitesse réduite, sans avoir vu arriver le cycliste, déclarant avoir été ébloui par le soleil. Le choc se produit à faible vitesse et provoque la chute du cycliste à une dizaine de mètres plus loin. 

Le procès verbal fait état de traces de choc cohérentes à l'avant gauche du pare choc du véhicule entrant et sur la roue arrière du vélo.


Le cycliste invisible

Le témoin confirme la vitesse réduite de l'automobiliste, entre 20 et 30 km/h. Lui aussi déclare ne pas avoir vu le cycliste.

Cette "invisibilité" du cycliste est retrouvée à l'origine de ce type d'accident par refus de priorité au cycliste sur l'anneau par le véhicule entrant. C'est une configuration accidentelle fréquente sur ce type de giratoire. Elle peut s'expliquer par plusieurs raisons vraisemblablement associées.


La morphologie du giratoire a façonné les trajectoires 

L'asymétrie de l'anneau et de ses branches est évidente, toutes les branches n'ayant pas une disposition radiale. Les distances entre les différentes branches sont donc inégales, celle entre l'entrée du vélo et celle de l'automobile étant nettement inférieure au quart de la circonférence totale. 



Avant d'entrer dans le giratoire, le cycliste (vert) est masqué par la végétation alors qu'il vient de bénéficier d'un faux plat descendant lui permettant de rouler sans effort à plus de 30 km/h (vélo de course sans assistance électrique). Du fait de la morphologie du giratoire, il voit de loin le véhicule jaune circulant dans l'anneau et s'insère derrière lui pour un trajet raccourci en distance et en temps jusqu'à l'embranchement suivant. Ce véhicule jaune constitue donc un masque à la visibilité entre le vélo et l'automobiliste entrant (bleu). L'importante largeur de l'anneau (équivalente à deux voies) l'incite à entrer précocement dans l'anneau, surtout si le véhicule jaune a pris la corde.

L'automobiliste bleu explique avoir été aveuglé par le soleil, ce qui peut sembler contradictoire vu qu'il est sur sa droite (rouge) à l'heure de l'accident. 
Ça ne l'est pas. Rappelons l'arrêt de bus dans l'anneau et signalons qu'au même endroit, la chaussée est déformée près de l'îlot central par les racines des arbres (elle ne sera réparée que plusieurs mois plus tard). La présence d'un bus sur l'arrêt dans ce contexte est un obstacle potentiel pour l'automobiliste qui ne peut l'ignorer étant coutumier du lieu. Il est donc obligé de rechercher l'information sur sa droite avant son insertion dans le giratoire. L'éblouissement en témoigne.

Tous ces éléments réduisent les conditions de visibilité entre le cycliste et l'automobiliste entrant et contribuent à augmenter le temps de réaction de ce dernier. 

Les règles de conception des giratoires sont pourtant claires, comme les exigences réglementaires


  • la visibilité du quart gauche de l'anneau pour le véhicule entrant doit être assurée et il ne doit pas y avoir de courbes ou de contrecourbes sur les entrées-sorties (car elles modifient les rayons et donc les vitesses de passage). Pourquoi ces règles n'ont-elles pas été respectées ? 
  • la grande taille du giratoire et la largeur de l'anneau supérieure à une voie sont connues comme des facteurs de risque certains pour les cyclistes. Comment sont-elles justifiées alors qu'entrées et sorties sont à une voie et que les trafics moyens journaliers sont connus et modérés (4 615 véh./j avenue de Montbrun et 3 501 véh./j promenade de la Barre en 2015) ? L'arrêt de bus serait-il la seule justification de cette surlargeur ? 
  • la piste cyclable de la promenade de la barre et du giratoire a été aménagée sur le trottoir, sans cheminement piétonnier conforme à l'arrêté du 15 janvier 2007 (y compris sur le trottoir controlatéral) et sans dérogation préalable. Les exigences de la loi sur l'accessibilité ne sont donc pas respectées. Pourquoi et qui l'a décidé ?
  • les traversées de chaussée de la piste cyclables sont marquées par des damiers verts qui ne sont ni réglementaires, ni homologués (plan vélo de l'agglomération). Les marquages autorisés sont définis dans une instruction inter ministérielle ;
  • cette piste cyclable n'intéresse ni la totalité de l'anneau, ni l'avenue abbé Cestac, alors qu'il s'agit d'un axe identifié comme principal dans le plan de déplacements urbains de l'agglomération de 2015. Pourquoi cet aménagement, pourtant budgeté, n'a-t-il pas été réalisé ?
  • malgré son caractère incomplet, cette piste cyclable "délégitime" la présence des cyclistes dans l'anneau, situation connue comme susceptible de provoquer des réactions aggressives de la part des automobilistes.


C'est pas nous !

Suite à l'accident, le maire de la commune d’Anglet (détenteur de l'autorité de police sur cette zone) s’est empressé de préciser à la presse que lors des aménagements du carrefour de la Douane, les normes en vigueur ont été respectées, que sa configuration prend en compte l’ensemble des usagers et qu'il n'est pas considéré comme accidentogène (Sud Ouest du 01/02/2020, p24a). L’accent a été volontairement et exclusivement mis par l’élu sur la négligence d’un automobiliste et non sur un défaut de l’aménagement urbain. La stratégie adoptée est claire et consiste à éviter une incrimination de la responsabilité de personne publique dans la survenance de cet accident. 

Mais alors qui est-ce ?

Ironie de l'histoire, le 3 janvier, soit un mois avant cette déclaration, un arrêté municipal constatait la mise en zone 30 du giratoire (pour des raisons de sécurité). Hélas, sur le terrain et 11 mois plus tard, la vitesse est toujours limitée à 50 km/h et aucun aménagement n'est venu contraindre les trajectoires pour réduire les vitesses. Comment expliquer une telle défaillance s'étendant jusqu'au contrôle d'effectivité et qui en est responsable ? Doit-on relier ce nouvel "oubli" avec le manque de sécurité responsable de l'accident survenu 5 jours plus tard ?


À ce stade, il faut également remarquer que la commune n'était pas représentée à l'audience, alors qu'elle est mise en cause au civil. Au delà de l'aspect humain, l'analyse de l'arbre des causes de l'accident n'est à l'évidence pas de ses préoccupations.

Quoiqu'il en soit, l'aménagement n'est pas seul en cause


Chez le cycliste, même si cela n'a eu aucune influence dans la genèse de l'accident, l'absence du casque chez un usager le portant toujours est incompréhensible. Le trajet était-il trop court ? Nul doute qu'il aurait contribué à réduire la gravité des lésions cérébrales. De façon tout aussi certaines, le port de couleurs sombres a certainement contribué à réduire sa visibilité dans les conditions de l'accident.

Le véhicule Peugeot 208 accidenté est décrit par certains comme ayant un montant de parebrise avant gauche générant un angle mort important.

L'automobiliste porte des lunettes et au delà du trouble les nécessitant, le PV ne précise pas si les branches de la monture sont larges et susceptibles de limiter sa vision périphérique. Si c'est le cas, lui avait-on expliqué ce risque ?

Il n'a pas bu d'alcool mais a pu être victime d'un trouble de la vigilance pour d'autres raisons : il est à jeun... Peut-être prend-il des médicaments contrindiquant la conduite automobile (comme 20% de la population) ? Si oui, est-il seulement conscient de ce risque ? (son médecin le lui a-t-il signalé ?)


Tous ces éléments, et sûrement d'autres, ont donc influencé la perception réciproque du vélo et de l'automobile. Ils devront être pris en compte pour la détermination des responsabilités, particulièrement en regard de la réglementation. En termes de prévention, chacun devra surtout se rappeler que 10% des usagers ont un temps de réaction atteignant 2,5 s. Les vitesses devront être singulièrement réduites pour en tenir compte.


Et maintenant patience

Grâce à votre aide, nous avons pu nous associer à la procédure civile de référé expertise qui sera la prochaine étape.

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